Préparer son entreprise à la disparition des cookies tiers
Alors qu’est entrée en vigueur la Loi 25 au Québec, plusieurs marketeurs numériques tentent d’entrevoir le futur de leur profession dans un monde où les données ne sont plus… données, justement. Dans un Web jadis érigé en parfait système d’espionnage, la data avait l’abondance du grain de sable en bord de mer. Mais l’espionnage passe aujourd’hui de mode, et le sable coule surtout dans le sablier qui égraine les heures avant qu’on ne l’interdise complètement.
S’il est évident qu’un changement de paradigme s’annonce, il n’est pas aisé de dire ce qui succèdera au présent zeitgeist. Quelles avenues s’offrent aujourd’hui aux marketeurs numériques naviguant les sables mouvants du marketing en ligne?
Sacha Benadiba, analyste en données chez Click & Mortar, voit venir une résurgence des modèles de marketing mixtes (MMM). Prédatant le numérique de plusieurs décennies – inventé circa 1950 –, le MMM avait perdu en popularité au détriment du marketing basé sur la collecte systématique de cookies. Mais on sait que ces derniers vivent présentement une apocalypse, alors que les lois internationales mettent des freins à la collecte systématique des données personnelles.
Le grand avantage du MMM est qu’il n’a pas besoin des données d’utilisateurs pour fonctionner. Au contraire, il mesure les retombées d’une campagne en utilisant des variables indépendantes du consommateur. Pas de cookies disponibles? Cette famille d’outils marketing n’en mange pas, de toute façon.
Sacha déposait récemment son mémoire de maîtrise, qu’il a consacré à développer deux modèles de MMM. Devenu par le fait même notre expert en la matière, Sacha a pris le temps de répondre à quelques questions essentielles sur cet outil marketing qui pourrait, selon lui, faire un spectaculaire comeback post-apocalyptique.
Commençons par le début. De quoi exactement parle-t-on quand on parle de modèle de marketing « mixte » (MMM)?
En fait, c’est une famille de modèles statistiques qui ont pour but d’analyser les retombées des efforts marketing — c’est ça, le cœur du modèle. Par exemple, déterminer comment une variable cible, telle que le revenu, est affectée par le marketing que fait notre entreprise.
Par extension, ils permettent de répondre à des questions comme « quel effort dois-je mettre dans mes canaux, en fonction du degré auquel ils contribuent à mes revenus? ». C’est un modèle qui existe depuis longtemps, beaucoup de documentation existe à son sujet. Il peut être utilisé par n’importe quelle organisation qui fait du marketing. La seule chose à garder en tête : ce sont des modèles qui demandent une certaine maturité numérique, car il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. Par exemple : si on passe une pub de voiture à la télé, on ne s’attend pas à ce que les gens viennent acheter une voiture directement. On chercherait à déterminer quel est le décalage [entre la diffusion de la publicité et l’achat potentiel]. Il faut donc prendre le temps de réfléchir à chacun de ces petits paramètres. Par contre, une fois qu’on a tout cela, c’est un très bon outil pour arriver à améliorer son marketing, et pour déterminer comment il impacte notre revenu.
Plusieurs pratiques traditionnelles du marketing numérique, qui s’appuient sur une collecte de données libérale et infinie, seront impossibles au moment de l’entrée en vigueur la Loi 25. De quelles façons les modèles de marketing mixte peuvent-ils combler ce vide?
En fait, le modèle existait avant le numérique. Mais oui, il y a une raison importante qui explique la résurgence des ces modèles : le renforcement des lois autour de la sécurité personnelle. En Europe il y a le GDPR depuis 2016, et au Québec la Loi 25, en vigueur depuis le 22 septembre dernier. On remet entre les mains de l’utilisateur la gestion de ses données personnelles, c’est-à-dire gérer ses cookies. Donc pour une entreprise de marketing numérique, ça devient difficile d’analyser rapidement la retombée des campagnes publicitaires. De plus, avec la disparition des cookies tiers sur Chrome, prévue à la fin de l’année 2024 par Google, l’accès aux données de performance sur Google Analytics 4 va être grandement impacté.
C’est exactement là qu’entre en jeu le MMM, grâce au type de statistiques sur lesquelles fonctionne le modèle. On est capable, avec des données qui ne concernent pas les utilisateurs et qui n’appartiennent qu’à l’entreprise, de faire des analyses sur son revenu. Par exemple, je peux tenter d’observer si mon revenu va augmenter quand on investit plus dans une pub télé, par exemple.
Tu as toi-même développé deux modèles de marketing mixte. Qu’est-ce que ces modèles ont de particulier, que peuvent-ils mesurer, et à qui servent-ils?
Ce sont des modèles qui se basent sur la régression, et aujourd’hui avec les avancées dans le machine learning, on arrive à des modèles plus élaborés. Je voulais comparer les deux, mais en commençant avec une régression linéaire, qui est plus basique, pour ensuite voir ce qu’un modèle de machine learning plus poussé peut amener au modèle de base.
Mon deuxième modèle s’appelle la « forêt aléatoire », et est un modèle typique de machine learning. Grâce à lui on peut aller beaucoup plus loin, et capter les effets de synergie entre les différents canaux marketing. Pour être capable de dire, par exemple, si je fais une pub télé et une pub sur Facebook, quel est leur effet synergique — comment contribuent-ils un à l’autre?
Maintenant que le modèle est développé chez Click & Mortar et prêt à être utilisé, on pourrait l’adapter à n’importe quel client?
Absolument. Ceci étant dit, comme je disais plus tôt, c’est important que le modèle soit adapté au contexte de l’entreprise pour laquelle on le développe, c’est-à-dire l’adapter à sa réalité. Si c’est pour une entreprise dans le service, par exemple, on devra considérer la variable météo. Cela dépend aussi de la maturité numérique du client : a-t-il des données « clean » et en quantité suffisante? Ce sont deux choses très importantes.
Quel type d’entreprise aurait le contexte idéal pour faire appel à C&M pour explorer ces avenues-là de MMM?
D’abord, comme je le mentionnais plus tôt, la qualité des données du client est importante. Sans ça, c’est difficile d’obtenir des résultats fidèles à la réalité. Ensuite, ça peut prendre beaucoup de temps à developper, donc il faut avoir le budget nécessaire.
Mais ça s’adresse à une grande variété de clients : n’importe qui cherchant à savoir comment performe son marketing, et ce qu’il pourrait faire pour s’améliorer. D’ailleurs, il y a plusieurs questions auxquelles on peut répondre avec le MMM et non avec les cookies.
Ah! Tu m’intéresses. Quel genre de questions?
La saturation, par exemple : si j’investis plus dans mes campagnes Google, ou mes campagnes Meta, est-ce que les retombées vont suivre, ou suis-je mieux de mettre mon argent ailleurs?
La synergie, aussi, est plus facilement identifiable, et le délai entre la pub et les revenus. C’est aussi un modèle qui a une grande capacité à allier numérique et traditionnel. C’est donc un excellent outil pour les magasins présents en ligne et physiquement, pour voir à la fois comment une campagne numérique impacte les ventes sur le plancher, et comment les campagnes traditionnelles influencent les ventes en ligne. Sans MMM, une telle chose est très difficile à déterminer.
Tu as consacré ton projet de maîtrise au MMM. As-tu eu des grandes révélations en étudiant la question d’aussi près?
C’est un modèle d’une grande polyvalence : la variété de questions auxquelles on peut répondre est assez incroyable. Le modèle peut être étiré dans plusieurs sens pour répondre à l’effet de saturation, le délai, la répercussion dans mes revenus.
En parallèle, j’ai réalisé à quel point le modèle est sensible. Il faut vraiment étudier les paramètres un à un. La moindre petite variation dans les paramètres d’entrée peut impacter les résultats. Donc ce sont de gros enjeux de calibration au début. Sur les 4 mois que j’ai passés à construire le modèle, j’en ai passé la moitié sur la base de données; pour être vraiment certain qu’il n’y a pas d’erreurs dedans.
Vois-tu les modèles de marketing mixte évoluer encore beaucoup dans le futur? Prendre en précision? Ou penses-tu qu’on a atteint un point d’expertise maximale?
C’est certain que l’intelligence artificielle risque d’accélérer les processus. Mais la plus grande avancée que je prévois, c’est une progression dans la qualité des données avec les « data clean rooms ».
Je parlais plus tôt d’un enjeu avec la qualité et la quantité des données nécessaires à un modèle MMM : les « data clean rooms » répondent bien à cet enjeu! L’engouement qu’ils suscitent présentement est expliqué justement par le fait qu’ils sont axés sur la confidentialité des données, sur le fait que les données sont anonymes.
Pour savoir comment vos données peuvent nous révéler la voie vers des campagnes fructueuses, n’hésitez pas à contacter Click & Mortar. Il nous fera un énorme plaisir d’en discuter avec vous.